Lazywall est un groupe intéressant dans la mesure où ils sont le groupe de Rock marocain le plus connu. Il y a un nombre non négligeable de groupes de Rock sur la scène underground, mais le plus connu d’entre eux dans ce style est bien Lazywall; c’est ce même groupe qui a travaillé avec Steve Albini et peut être le seul groupe de Rock marocain à cumuler des centaines de milliers de vues sur leur chaîne Youtube. Autrement dit, les personnes qui ignorent tous des groupes underground ne connaissent que Lazywall.

Le groupe joue sur des esthétiques et des sons différents. Un de leurs points distinctifs est la voix de Nao. Ça peut sembler bizarre, mais c’est la voix de Nao qui fait que le groupe sonne marocain. Beaucoup de groupes peuvent jouer du Rock avec des influences orientales, mais ça ne serait pas suffisant pour les faire sonner complètement locaux.

La voix humaine est un outil très particulier ; on peut dire beaucoup sur une personne simplement en écoutant sa voix et sa manière de l’utiliser. Dans le cas de Lazywall, c’est vraiment la voix de Nao qui installe l’atmosphère ; il chante dans des formes que nous ne sommes pas habitués à entendre, elle paraît cassée et fragile, et pourtant nous savons ce qu’il peut faire avec, et c’est ce qui fait que leurs chansons ont ces sonorités sombres et teintées de regrets.

Leur dernier album en date THE HUNDREDTH MONKEY, rend homage aux différents sons qui a caractérisé leur musique à travers leur carrière. Pour mieux comprendre l’impact de leur son et ce qu’il peut inspirer, il faut garder en tête le fait qu’ils sont le premier groupe de Rock local à avoir joué sur la télévision nationale. Dès 2006, ils ont également été programmés au Festival L’Boulvard. A cette époque, la scène Rock locale commençait à peine à attirer l’attention des médias « Mainstream » ; les moyens étaient limités, mais les résultats obtenus étaient plus que décents.

Lazywall n’appartient pas à la même génération que la plupart des groupes en activité aujourd’hui. La première génération est peut-être celle de Nekros, Reborn, et Infected Brain, et quelque part entre ces temps-là et aujourd’hui, Lazywall. Sur certains aspects, leur musique rappelle toujours cette période, parfois à travers une ballade Rock Alternatif, d’autre à travers des riffs Grunge bien sales. Leur son est toujours là, et on le reconnaît. Il ne change pas, on ne fait qu’en découvrir plus. Si on cherche l’archétype du Rock marocain, cela pourrait bien être eux.

Une de leurs esthétiques assez courante est la ballade Rock Alternatif, comme dans les très iconiques « Reality », « I Raise My Hand », et « House on a Hill » avec laquelle ils se sont amusés sur THE HUNDREDTH MONKEY. Dans « Desert Flood », la musique utilise une palette de sons mélancoliques en nuances de gris, très années 90, ce qui la fait sonner différemment des autres chansons qui suivent cette structure. C’est par essence le type de chansons qui peuvent être réduite, si nécessaire, à une guitare acoustique et un chanteur. « Brother » partage également le même type de sonorités et d’émotions. « Time Girl » peut également être classifiée dans cette catégorie, bien qu’elle sonne très Pop avec les refrains qui font « Ooh Ooh ».

Il en va de même pour « Invincible », mais le son de distorsion à la guitare n’est pas sans rappeler les premières années de la scène Pop Punk. Dans ce type de compositions, le principal point de focus est le chant ; la musique en elle-même – construite autour d’une progression d’accords – n’est là que pour accompagner. Il est tout à fait possible d’expérimenter des variantes autour de ce type de chansons, et c’est précisément ce qu’ont fait Lazywall.

Cependant, ce n’est pas la seule arme à leur arsenal. Ils ont développé un style musical basé sur des riffs Rock, et fusionnés avec des instruments orientés. Dans l’album THE HUNDREDTH MONKEY, « Perfume » en est l’illustration parfaite. Le riff principal est rejoué en tant que mélodie au Oud pour accompagner le chant durant le couplet. Cette répétition, suivie par une mélodie jouée à la Guitare et au Oud forment un pré-refrain, qui nous entraine vers le refrain qui est basé sur un riff très Hard Rock. Cette structure se reproduit ensuite dans «Diamonds ». Le Oud apparaît durant le couplet, juste après le riff principal, mais également pendant le refrain, et plus tard durant la partie qui mélange chant et Oud joué par Younes.

On ne retrouve pas en revanche cette structure dans d’autres chansons, comme « I Am ». Les deux premières minutes, on est clairement sur de la musique très influencée par le Grunge des années 90, à l’instar de groupes comme Pearl Jam et Soundgarden (pour leurs débuts). La partie orientale n’arrive qu’au niveau du Bridge avec un arrangement de cordes.

THE HUNDREDTH MONKEY partage des points communs en termes d’ambiance avec leur précédent album SQUARE MINDS IN ROUND HEADS, à savoir une alternance de chansons écrite à la manière de songwriters, et de morceaux basés sur des riffs. Les paroles abordent les thèmes récurrents chez Lazywall, à savoir l’Amour, la protection des Animaux, l’état étrange dans lequel le monde se trouve aujourd’hui, etc… Elles reposent sur les images et le story-telling pour exprimer certaines notions vagues.

Par exemple dans « Diamonds », le texte décrit une scène sombre et mystérieuse, qui ne se résout qu’avec l’entrée en jeu du discours de l’activiste en faveur des droits des animaux Gary Yourofsky, qui vient remettre ensemble les pièces du puzzle et rendre le thème de la chanson plus concret. La relation entre animaux et humains est prise pour acquis, mais il faudrait reconsidérer cet état d’esprit, si l’on en croit la doctrine des Lazywall.

Le concept du «100th monkey effect » (Traduction : effet du centième singe, par Lawrence Blair et Lyall Watson) est certainement le thème principal de l’album. Ce concept décrit la manière avec laquelle un certain comportement ou idée commence à se transmettre à travers différents groupes de personnes, à partir du moment où il atteint un certain nombre de « followers » ou de membres au sein d’un groupe.

Il trouve son origine dans les recherches de scientifiques Japonais dans lesquelles ils ont appris à des singes sur l’île de Koshima comment nettoyer des patates douces. Et à partir du moment où 100 singes ont appris cette compétence, ce comportement c’est transmis aux singes des îles voisines. A l’exception de « Time Girl », « Brother » et « Nothingness », le thème récurrent de l’album est la remise en question des comportments humains aujourd’hui’hui considérés comme normaux, comme le consumérisme.

Dans l’ensemble, les titres qui me sont restés gravés à l’esprit sont tout d’abord « Executed », dont la mélodie principale sonne comme tout droit sortie d’un Album de Desert Rock à la Queens of The Stone Age, ce que nous n’avons encore jamais entendu Lazywall faire auparavant. Egalement « Brother », qui m’a fait penser aux chansons de leurs débuts, et « Desert Flood ».

« Time Girl » semblait au contraire à côté du thème de l’album, et ma plus grande déception était « I Am », ainsi que les « Yeahs Yeahs » chantés au-dessus du solo de claviers dans « Desert Flood ». La voix de Nao a beau être une pièce maitresse qui fait le charme du groupe, mais malheureusement, et pour des raisons que j’ignore, elle ne sonnait pas aussi belle et plaisante que dans les albums précédents, en particulier sur les notes les plus hautes.

Lazywall ne font peut-être pas partie de la même génération que les groupes en activité aujourd’hui, mais la sortie de cet album nous prouve qu’ils sont toujours bien vivants, et qu’ils continuent de faire de la musique. Cela les replace sur la scène comme étant un des groupes les plus populaires de la scène indépendante au Maroc, ce que d’aucun pourrait considérer comme une « success story ».